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Le Myosotis Savoie Dauphiné

Entretien avec Alain Bernheim dans L'Alliance Maçonnique n°3

18 Février 2015 , Rédigé par FeuDuSoleil

Le numéro 3 de L’Alliance Maçonnique, revue de la Grande Loge de l'Alliance Maçonnique Française (GL-AMF) vient de paraitre. On y trouve pages 8 et 9 un entretien avec Alain Bernheim particulièrement intéressant, entretien réalisé par Jean-Claude Tribout, que je reproduis intégralement ci-dessous.

Voilà une introduction idéale pour initier la réflexion sur la régularité qui sera l'objet des groupes d’étude et des Etats Généraux annoncés le 16 février dernier par mail interne aux frères de la GL-AMF. Si ce n'est déjà fait, je vous invite vivement à lire le dernier livre d'Alain Bernheim intitulé "Régularité maçonnique".

 

Alain Bernheim est né en 1931. Pianiste de renommée internationale, il doit abandonner sa carrière en 1980 pour des raisons de santé et se consacre depuis à la recherche et à l'histoire de la franc-maçonnerie. Initié au Grand Orient de France en 1963, il appartient aujourd'hui à la Grande Loge Suisse Alpina et à la Grande Loge Régulière de Belgique. De 2010 à 2014 il a appartenu à la Grande Loge Unie d'Angleterre en tant que premier Français élu membre actif de la loge Quatuor Coronati No. 2076, dont il a été Premier Surveillant. Il est l'auteur de plusieurs livres et de très nombreux Articles en français, en anglais et en allemand, parus dans les plus prestigieuses revues : Renaissance traditionnelle, Ars Quatuor Coronatorum, Heredom, Eleusis…

Très Cher Frère Alain, au mois de novembre dernier, vous avez publié aux Éditions Télètes un petit livre intitulé Régularité Maçonnique. Pourquoi ?

Parce que je considérais que 2014 était une année essentielle pour la franc-maçonnerie française…

Essentielle… ?

Essentielle parce que c’était la première fois depuis plus de deux siècles que les francs-maçons français qui ont en commun une certaine idée de la franc-maçonnerie tentaient de se réunir. Leur tentative me semblait avoir une bonne chance de réussir mais elle était confrontée à un extraordinaire sabotage dont je reparlerai plus loin.

Une certaine idée de la franc-maçonnerie… n’est-ce pas le titre d’un de vos livres ?

Je n’ai jamais oublié la remarque que me fit à ce propos le directeur des Éditions Dervy. J’avais donné ce titre, sans l’expliciter, à un tapuscrit que je lui avais adressé et qu’il publia en 2008. Après l’avoir lu, Bernard Renaud de la Faverie me demanda : « Mais votre certaine idée de la franc-maçonnerie, qu’est-ce que c’est ? » Sa question m’amena – un peu à contrecoeur parce que je déteste les explications – à ajouter trois pages à mon livre.

Mon idée, c’est que la maçonnerie organisée à Londres en 1717 n’était pas initiatique et qu’elle l’est devenue peu après avoir été introduite en France (« chercher la lumière… répandre la lumière »). Que le rôle des rites maçonniques, qui consiste à transformer et faire renaître, ne sont efficaces que si celui à qui l’initiation est conférée possède un don particulier que chacun n’a pas reçu (de même, tous les êtres humains n’ont pas reçu le don de la musique). Et qu’il est indispensable que le rite employé réponde aux principes de la franc-maçonnerie régulière.

Les principes de cette franc-maçonnerie régulière sont-ils intangibles ?

Oui… et non. Il faut distinguer la théorie, la pratique et l’époque, ce que j’ai illustré avec des exemples dans Régularité Maçonnique.

La théorie, c’est ce que le jargon maçonnique dénomme landmarks, mot apparu à Londres en 1720, à propos duquel Marius Lepage a écrit : « personne n’a jamais vu un landmark, parce que, en réalité, un landmark n’est qu’un mythe forgé par un poète ». Deux ans après avoir été élu Vénérable de la loge Quatuor Coronati, mon ami Wallace McLeod écrivait :

« […] personne cependant ne sait exactement ce que sont les landmarks, et chaque Grande Loge est en droit de faire ses propres lois. […] Depuis ses origines jusqu’à nos jours, la franc-maçonnerie n’a pas cessé d’évoluer, et il n’y a jamais eu d’époque à laquelle on ait pu déclarer : « ceci représente la franc-maçonnerie à l’état le plus pur » [1].

La pratique, ce sont les principes que chaque Grande Loge décide d’appliquer pour elle-même et les critères qu’elle décide d’exiger pour établir des relations d’amitié avec une autre Grande Loge, pour la « reconnaître ». La Grande Loge Unie d’Angleterre les a définis en 1929 (Basic Principles for Grand Lodge Recognition) en affirmant dans l’introduction qui les précède qu’elle les avait défendus à travers son histoire… ce qui est loin d’être exact. En voici deux exemples que je n’ai pas mentionnés dans Régularité Maçonnique.

Avec la Suède, nation intimement liée à la famille royale anglaise, la Grande Loge Unie d’Angleterre entretient depuis 1799 et sans interruption des liens « intimes et permanents » [2]. Or, la franc-maçonnerie suédoise n’accepte que des chrétiens et ses grades symboliques sont liés avec ses hauts grades. Elle a délibérément ignoré une situation rigoureusement identique au sein de la Grosse Landesloge, lorsque en 1959 elle expliqua aux représentants des Grandes Loges Unies d’Allemagne, qui venaient de parvenir à s’unir après douze ans d’efforts, qu’ils seraient reconnus… à condition de rompre les liens qu’ils entretenaient avec la Grande Loge de France au sein de la Convention de Luxembourg [3].

La régularité est-elle une notion anglo-saxonne ?

Nullement. Les articles II et III du premier chapitre des Statuts de l’Ordre Royal de la Franc Maçonnerie en France définissent la régularité en 1773 sans l’ombre d’ambiguïté :

« Le Grand-Orient de France ne reconnoîtra désormais, pour Maçons Réguliers, que les seuls Membres des Loges Régulières. Le Grand Orient de France ne reconnoîtra désormais pour Loges Régulières, que celles qui seront pourvues de Constitutions accordées ou renouvelées par lui ; & il aura seul le droit d’en délivrer. »

Et la reconnaissance ?

Tout dépend du champ d’application du mot. Reconnaître apparaît en 1744 en France dans le Catechisme des Franc-Maçons :

« Êtes-vous Maçon ? Mes Frères & Compagnons me reconnoissent pour tel. »

Dans les encyclopédies de langue anglaise (Mackey 1874, Kenning janvier 1878), l’entrée Recognition (Reconnaissance) est accompagnée par les mots signs of (signes de) ajoutés entre parenthèses. Le mot n’était alors employé dans le vocabulaire maçonnique anglais que dans l’expression signes de reconnaissance.

Et puis, à la suite de la modification du premier article de la Constitution du Grand Orient de France en 1877, la Grande Loge Unie d’Angleterre adopta la résolution suivante le 6 mars 1878 :

« La Grande Loge [Unie d’Angleterre] toujours désireuse de recevoir dans l’esprit le plus fraternel les Frères appartenant à toute Grande Loge étrangère dont les travaux sont effectués selon les anciens Landmarks de l’Ordre, dont le premier et le plus important est la croyance au Grand Architecte de l’Univers, ne peut reconnaître comme “vrais et véritables” Frères ceux qui auront été initiés dans des Loges qui nient ou ignorent cette croyance. »

Limité jusqu’alors à constater l’existence d’un lien entre deux maçons, le champ d’application du mot reconnaître devenait étendu à la présence ou à l’absence d’un tel lien entre deux Grandes Loges.

C’est également dans cette résolution qu’apparaît l’expression « premier et plus important Landmark », appliqué à « la croyance au Grand Architecte de l’Univers ». Le mot croyance m’apparaît peu heureux (la franc-maçonnerie n’est ni une église, ni une religion). La franc-maçonnerie régulière française ouvre et ferme ses travaux avec une invocation au Grand Architecte de l’Univers.

Dans Régularité Maçonnique, il m’a semblé opportun de reproduire de très larges extraits d’un article paru en décembre 1945 dans la revue Le Symbolisme. Son auteur, Joannis Corneloup, 33° depuis 1938, venait d’être coopté au Grand Collège des Rites du Grand Orient de France et il en deviendra Grand Commandeur en 1958. Or son article était intitulé « Plaidoyer pour le Grand Architecte de l’Univers ».

Pourquoi la Confédération Maçonnique de France suscite-t-elle autant d’hostilité ?

Pendant longtemps, le Grand Orient de France fut l’obédience française la plus importante numériquement. Il a été, je crois, rejoint sur ce plan par la Grande Loge Nationale Française avant que celle-ci n’éclate dans les circonstances que chacun connaît. La CMF, si elle parvient à son but, deviendrait alors la première obédience française. Cette idée ne réjouit pas les deux obédiences que je viens d’évoquer qui avaient signé ensemble, le 24 avril 2002, un Protocole Administratif et Disciplinaire peu connu [4].

D’où une campagne quasiment diffamatoire qui a sévi plusieurs années et qui m’a amené à écrire dans Régularité Maçonnique :

« Depuis que cette union est en marche, certains historiens, parfois qualifiés d’autorisés ou auxquels d’aucuns accordent de la notoriété, ont déployé des efforts remarquables pour saboter cet effort vers l’union de la franc-maçonnerie en France. Souvent au moyen d’affirmations inexactes.

Voilà pourquoi j’ai inséré ici et là un florilège provenant de ces historiens-là et de quelques autres, qui illustrent les mots de Jean Cocteau : « Notre époque est scolaire et inculte, chacun est un professeur qui ne sait rien et qui veut l’apprendre aux autres ».

Mon florilège comprend de nombreuses citations d’Alain Bauer et de quelques autres, dont Roger Dachez, qui n’ont pas apprécié.

Est-ce contagieux de fréquenter des Frères irréguliers ?

Eh non, qu’ils soient « irréguliers » ou non reconnus ! Ce n’est ni contagieux ni interdit et ne contrevient en rien à la parole qu’un Frère régulier a donnée au moment où il est devenu maçon. Je l’ai souvent expliqué dans mes conférences, mes articles et mes livres. Rien ne s’oppose à ce qu’un maçon régulier et reconnu participe à n’importe quelle activité de tels Frères s’il le désire, avec une exception : sa présence dans une tenue rituelle. Il peut prendre part à des conférences, à des agapes et à n’importe quelle sorte de réunion. Et même lorsqu’il s’agit de réunions rituelles, telles les Tenues d’été de la Grande Loge de France auxquelles j’ai été invité comme conférencier, il suffit que les travaux soient suspendus pendant sa présence dans la loge. La même méthode est adoptée par la loge de recherches Ars Macionica (Grande Loge Régulière de Belgique) dont j’ai été Vénérable.

 

  • 1 - AQC 96 (1983), 129.
  • 2 - James Daniel, AQC 109 (1996), 96-114.
  • 3 - Alain Bernheim, AQC 127 (2014), 79-81.
  • 4 - Alain Bernheim, Le rite en 33 grades (Dervy 2011), pp. 130 et 596.

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